roman
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Jean-Luc Raharimanana , Za, Paris, Philippe Rey, 2008, p. 19-20.
Présentation de l’éditeur : “Quelque part au milieu de l'océan, une terre, une île, des rues, des décharges, des plaines immenses et oubliées où se déroulent des tragédies. Quelque part toujours sur une terre où dominent les puissants, Dollaromane à leur tête, des tirailleurs ou encore des femmes aux cheveux de paille et des ancêtres sur la piste de leur libido perdue. Entre le présent et le passé, la mémoire et l'actualité, un temps brouillé où rien ne distingue les faits passés des faits présents. Face à eux : Za, personnage démesuré à la recherche du corps de son fils emporté dans un ruisseau encombré de détritus, le " fleuve de cellophane ". Sa femme est folle, lui-même a connu la prison, la torture. Il invective, demande pardon, s'humilie, s'esclaffe, chante, récite des poèmes : Za, gorgé de barbarie, est réduit à la seule liberté qui lui reste, une liberté immense qu'il brandit dans son désespoir, celle du langage, celle du rire.”
« Tu habites Za le long de ce fleuve de cellophane. Tu l’appelles comme ça. Fleuve de cellophane. Fleuve poubelle qui sarrie sacets en plastiques, bouteilles, tôles rouillées irrécupérables, cadavre de sien abattu quelque part dans la ville et qui dérive ici, bloqué par ces plances pourries formant barraze et digue de fortune. Entrailles ouvertes au ciel. Tu pourras. Tu pourras ô Za… Récupérer ces entrailles et les soubstiturer aux saucisses du boucer. Ni Vu. Ni connu. Mais ça ne marcera pas. Le boucer – ce boucer, connaît trop les entrailles de sien. Fleuve de merdre. Merdre offerte par tous les trous du monde. Maison. Maison que tu n’as pas. Il n’y a plus de place ici. Tu préfères rôder de cet autre côté. De-ci missionnaire. De-là type mère térésique. Tu dors aux portes de cette cité que d’autres comme toi, pareils – presque –, ont construite. Ils étaient, eux, avant, dans les déçarzes. Presque comme toi. Ils habitaient sous les poubelles qu’ils avaient creusées presque comme toi. Et IL était arrivé. Tu n’as pas voulu le regarder. Saint et missionnaire. IL les avait sortis de là. Tu n’as pas voulu. IL leur avait dit. IL leur a dit. IL leur dit encore. Vous pouvez. Vous devez. Vivre comme des Hommes. Construire vos propres maisons. Par vos propres mains. Vous êtes capables. Vous pouvez. Tu regardes ces maisons, Za. Tu as envie d’y habiter. Mais tu ne pries pas. Tu n’as pas envie de prier. Tu n’as pas envie de croire. Croire à son dieu qui a laissé faire. Tu ne peux pas comme ça quitter ton fleuve. Et ton fils qui s’y était noyé. Ton fils que tu n’avais pas retrouvé qu’au bout de deux semaines. La bouce pleine de plastiques. Le ventre gonflé de l’eau du fleuve. Enflure qui ressemblait tant à celle de tous ces siens dérivants. Fissurée. Fleuve de cellophane. Seul et unique linceul pour nous autres d’ici. De ce fleuve… »