roman

Afrique> Zambie

The Raw man (George Makana Clarke, 2011)

L'action du premier chapitre du roman, dont est tiré cet extrait, se situe quelques années avant l'indépendance du Zimbabwe. Gordon, sergent dans les forces armées de Rhodésie du Sud, a été capturé par des guerilleros luttant pour l'indépendance du pays. Ils l'ont emprisonné dans une ancienne mine de cuivre située en Zambie, juste à la frontière avec le Zimbabwe, dont ils ont repris l'exploitation. Après trois ans de travail au fond, Gordon et ses camarades, dont le narrateur, remontent à la surface. Ils découvrent un paysage dévasté par l'activité minière.

We emerged covered in copper dust, blinking at the light. Our spines had bent beneath the low ceilings and wouldn't straighten. We filled our shrunken lungs, stretched our hands above us, laughed when we touched nothing.            
The corrupted sunset cast a red pall over the denuded land. The forest had been fed into the fires that burned night and day under the smelters. Ochre clouds of sulphuric acid hung low in the sky. Flashfloods had carried away the unprotected topsoil, leaving only dust and waste rock. The stream stank of arsenic, fish and sewage. I washed my hands in it, stared at the skin in wonder. I'd forgotten what race I was.
Winston Chaminuka and his renegade soldiers had departed long ago. Yet the women continued to stoke the smelting fires and pour the copper into moulds dug into the sand where it cooled into bars. Without the guerillas to take it away they had stacked the pig copper like bricks until it formed a wall against the world. The old woman tended the generator, though she had run out of diesel. I watched her check her wristwtach, rise and switch off the dead engine. The children still collected the corms and roots and dead fish to bring down to us. And we had continued to fill their baskets with ore. And the copper wall grew.
Ought Nine commanded the women to stop, but still they worked, unhearing. He ordered the men to douse the smelting fires, and even so the women had to be restrained from their labour. They rocked and swayed, their muscles willing them on. [...]
I rose the next morning and surveyed the desolate landscape. Ought Nine was gone, his footprints heading south. [...]
There was nothing there so we trekked south on ground hardened with drought, more than a thousand men, women and children, not counting all those ghosts, an army of copper people. On occasion we saw other people walking in the distance. Africa is a continent of walking people. Sergeant Gordon's breath rattled in his lungs and it smelled like the forced air that came from the ducts in Gallery Zed. He would soon rejoin his murdered patrol.  
CLARK George Makana, The Raw Man, London, Vintage, 2013 [2011], p.39-41  
Nous émergeâmes couverts de poussière de cuivre, aveuglés par la lumière. Notre colonne vertébrale, courbée depuis des années, refusait de se redresser. Nous remplîmes d'air nos poumons atrophiés, étirâmes les bras, hilares en constatant que nos mains ne rencontraient plus l'obstacle de la roche.
Un soleil couchant sans grandeur jetait un voile rouge sur le paysage dénudé. La forêt avait été consumée par les brasiers brûlant jour et nuit sous les fourneaux. Des nuages ocre d'acide sulfurique flottaient bas dans le ciel. Des crues soudaines avaient balayé la terre, laissant uniquement des cailloux et de la poussière sur le sol. Le ruisseau puait l'arsenic, le poisson mort et les égouts. Je m'y lavai les bras et les mains, contemplant ma peau avec étonnement. J'en avais oublié la couleur.


Winston Chaminuka et ses soldats rebelles étaient partis depuis longtemps. Pour autant, les femmes n'avaient pas cessé d'entretenir les feux, de verser le cuivre dans les moules rectangulaires creusés à même le sol où il refroidissait et se figeait. Sans la guerilla pour les en débarrasser, elles avaient entassé les barres de cuivre comme des briqus, érigeant un mur contre le monde. La vieille femme s'occupait toujours du générateur bien qu'elle n'ait plus de carburant. Je la vis regarder sa monre, se lever et éteindre l'appareil hors d'usage. Les enfants ramassaient toujours des cormes, des racines et du poisson en vue de nous les apporter. Nous avions continué à remplir leurs paniers de minerai. Et le mur de briques de cuivre avait grandi.
Zéro-neuf ordonna aux femmes de s'arrêter mais elles persistaient, sans l'entendre. Il demanda aux hommes d'éteindre les feux; quand bien même, elles se balançaient d'avant en arrière, le rythme du travail gravé dans leurs muscles, et il fallut les forcer à abandonner leur poste. [...]



Le lendemain matin, au réveil, je contemplai la désolation alentour. Zéro-neuf avait filé, ses empreintes de pas indiquaient le sud. [...]
Il n'y avait rien ici, et nous partîmes aussi vers le sud, foulant un sol durci par la sécheresse; plus de mille hommes, femmes et enfants, sans compter les fantômes - une armée de travailleurs du cuivre. Parfois, nous apercevions d'autres marcheurs au loin. L'Afrique est le continent des peuples qui marchent. Le sergent Gordon avait la respiration sifflante et son souffle dégageait la même odeur métallique que l'air pulsé de la galerie Z. Il rejoindrait bientôt sa patrouille assassinée.

CLARK George Makana, Les douze portes dans la maison du sergent Gordon, traductionCHARTRES Cécile et SAMAMA Élisabeth, Paris, LGF/Livre de poche, 2018, p.42-44

   

           

We emerged covered in copper dust, blinking at the light. Our spines had bent beneath the low ceilings and wouldn't straighten. We filled our shrunken lungs, stretched our hands above us, laughed when we touched nothing.
           
The corrupted sunset cast a red pall over the denuded land. The forest had been fed into the fires that burned night and day under the smelters. Ochre clouds of sulphuric acid hung low in the sky. Flashfloods had carried away the unprotected topsoil, leaving only dust and waste rock. The stream stank of arsenic, fish and sewage. I washed my hands in it, stared at the skin in wonder. I'd forgotten what race I was.
Winston Chaminuka and his renegade soldiers had departed long ago. Yet the women continued to stoke the smelting fires and pour the copper into moulds dug into the sand where it cooled into bars. Without the guerillas to take it away they had stacked the pig copper like bricks until it formed a wall against the world. The old woman tended the generator, though she had run out of diesel. I watched her check her wristwtach, rise and switch off the dead engine. The children still collected the corms and roots and dead fish to bring down to us. And we had continued to fill their baskets with ore. And the copper wall grew.
Ought Nine commanded the women to stop, but still they worked, unhearing. He ordered the men to douse the smelting fires, and even so the women had to be restrained from their labour. They rocked and swayed, their muscles willing them on. [...]



I rose the next morning and surveyed the desolate landscape. Ought Nine was gone, his footprints heading south. [...]
There was nothing there so we trekked south on ground hardened with drought, more than a thousand men, women and children, not counting all those ghosts, an army of copper people. On occasion we saw other people walking in the distance. Africa is a continent of walking people. Sergeant Gordon's breath rattled in his lungs and it smelled like the forced air that came from the ducts in Gallery Zed. He would soon rejoin his murdered patrol. 

 
CLARK George Makana, The Raw Man, London, Vintage, 2013 [2011], p.39-41

Nous émergeâmes couverts de poussière de cuivre, aveuglés par la lumière. Notre colonne vertébrale, courbée depuis des années, refusait de se redresser. Nous remplîmes d'air nos poumons atrophiés, étirâmes les bras, hilares en constatant que nos mains ne rencontraient plus l'obstacle de la roche.
Un soleil couchant sans grandeur jetait un voile rouge sur le paysage dénudé. La forêt avait été consumée par les brasiers brûlant jour et nuit sous les fourneaux. Des nuages ocre d'acide sulfurique flottaient bas dans le ciel. Des crues soudaines avaient balayé la terre, laissant uniquement des cailloux et de la poussière sur le sol. Le ruisseau puait l'arsenic, le poisson mort et les égouts. Je m'y lavai les bras et les mains, contemplant ma peau avec étonnement. J'en avais oublié la couleur. Winston Chaminuka et ses soldats rebelles étaient partis depuis longtemps. Pour autant, les femmes n'avaient pas cessé d'entretenir les feux, de verser le cuivre dans les moules rectangulaires creusés à même le sol où il refroidissait et se figeait. Sans la guerilla pour les en débarrasser, elles avaient entassé les barres de cuivre comme des briqus, érigeant un mur contre le monde. La vieille femme s'occupait toujours du générateur bien qu'elle n'ait plus de carburant. Je la vis regarder sa monre, se lever et éteindre l'appareil hors d'usage. Les enfants ramassaient toujours des cormes, des racines et du poisson en vue de nous les apporter. Nous avions continué à remplir leurs paniers de minerai. Et le mur de briques de cuivre avait grandi.
Zéro-neuf ordonna aux femmes de s'arrêter mais elles persistaient, sans l'entendre. Il demanda aux hommes d'éteindre les feux; quand bien même, elles se balançaient d'avant en arrière, le rythme du travail gravé dans leurs muscles, et il fallut les forcer à abandonner leur poste. [...]

Le lendemain matin, au réveil, je contemplai la désolation alentour. Zéro-neuf avait filé, ses empreintes de pas indiquaient le sud. [...]
Il n'y avait rien ici, et nous partîmes aussi vers le sud, foulant un sol durci par la sécheresse; plus de mille hommes, femmes et enfants, sans compter les fantômes - une armée de travailleurs du cuivre. Parfois, nous apercevions d'autres marcheurs au loin. L'Afrique est le continent des peuples qui marchent. Le sergent Gordon avait la respiration sifflante et son souffle dégageait la même odeur métallique que l'air pulsé de la galerie Z. Il rejoindrait bientôt sa patrouille assassinée.

CLARK George Makana, Les douze portes dans la maison du sergent Gordon, traduction Cécile CHARTRES et Élisabeth SAMAMA, Paris, LGF/Livre de poche, 2018, p.42-44

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