roman
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La pluie s’annonça par une première rafale de vent qui surprit prisonniers et soldats. Les branches des arbres craquèrent. Les feux furent éteints. On interrogea du regard le ciel. Des nuages épais se déplaçaient d’est en ouest. Le premier coup de vent fut suivi peu après d’un autre, plus frais et encore plus violent. Il remplit l’espace de poussière et d’objets. Les soldats devenaient fébriles. Quelques prisonniers se mirent debout. Les soldats vociférèrent l’ordre de se rasseoir. Des sifflements accompagnèrent le vent, pressants, menaçants. Puis, soudain, il y eut des éclairs aveuglants. La ville s’illumina l’espace de quelques secondes. Tous les prisonniers se mirent debout. Les soldats oublièrent de le leur interdire. Le premier coup de tonnerre provoqua la débandade générale. Les prisonniers s’égaillèrent dans tous les sens. Les soldats n’eurent pas le temps de réagir. Les gouttes d’eau, drues, massives, se mirent à chuter avec la violence d’une masse d’eau longtemps retenue. Ou plutôt ces hommes affolés entendirent tomber les gouttes d’eau. Tout près d’eux, derrière eux. La ville devint bruyante. La masse humaine bondissait, contournait, traversait, longeait en vitesse les cases et les rues. Toute la ville était illuminée de façon intermittente ?
« Malgré l’assignation à résidence dont je faisais l’objet, je n’ai pu l’empêcher d’aller assister au phénomène. Je peux donc en témoigner La pluie ne tombait que sur une partie de la ville ! Celle de l’administration, celle qui remontait de l’ancienne Maison du Citoyen à la Caserne, en haut de la colline.
L’orage m’avait réveillé. Je savais les hommes retenus pour la nuit sur la rue bitumée. Les hommes font les mêmes bruits que les troupeaux d’animaux quand ils courent par centaines. Ce n’était d’ailleurs pas des hommes qui couraient ; c’était des buffles dans le vide sauvage de la nature et au cœur des ténèbres. Leurs pas résonnaient, lourds, cadencés, accompagnés des sifflements du vent, et des coups de tonnerre. On entendait l’eau tomber et ruisseler, mais, curieusement, comme à une certaine distance, presque au loin… Je me surpris à attendre en vain l’écho de la pluie sur le toit, dans la cour, dans le quartier ! »
Les habitants de l’est de la ville étaient alignés le long de la rue bitumée, qui servait de ligne de démarcation séparant leur zone de celle de l’administration. Le phénomène les amusait. Ils regardaient tomber, sans discontinuer des trombes d’eau diluviennes, à moins de trois ou quatre mètres d’eux, dans la zone administrative. Sans faire de commentaires. Le sol en face n’était que boue. Des trous s’étaient creusés au fil du ruissellement de l’eau. De véritable cours d’eau descendaient de la colline en direction de la rivière Nassablé. Même le ciel était divisé en deux parties distinctes ; le côté ouest étant gris, encombré de lourds nuages sombres.
Il plut trente jours durant. Sans mollir. Monotone. L’eau ruisselante dénuda progressivement les fondations des bâtiments de la zone administrative. La carcasse de l’ancienne banque fut la première à s’effondrer. L’ancien siège des PTT suivit peu après. Puis ce fut le palais de justice, la pharmacie, la Caserne… Seul le Palais du Gouverneur résista aux flots. Provisoirement. Les tas de pierres s’écroulaient ; les plantes poussaient, tout autour et à travers les décombres. Les habitants de Dapaong prirent l’habitude de longer la zone humide. Le visage inexpressif, ils consacraient de longues minutes à observer cette verdure épanouie, ces arbustes aux feuilles larges comme s’ils vivaient au bord d’un fleuve. Puis, nonchalamment, s’en éloignaient.
Théo Ananissoh, Territoires du Nord, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 101-103.
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