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Sony Labou Tansi, Le trou [1976],dans Sony Labou Tansi, Théâtre 3, Carnières (Belgique), Lansman éditeur, 2015.
Le Trou raconte que cette roche est capable de transmettre une énergie telle qu’elle met en mouvement la matière morte, ou encore de fournir de la lumière. Le Kabora, dont l’île de Bota fait partie, est la seule réserve au monde de pétrole 15 et les recherches du professeur français ont été soutenues par le président à vie Ramien. Cette découverte permet à Ramien d’ouvrir l’île à l’internationalisation, ce que refusent les rebelles commandés par le lieutenant Nouany. Dans la pièce, le trou est convoqué à de nombreuses reprises, en particulier pour désigner la vente du pays par Ramien qui « creuse des trous dans la force du peuple ». Le trou est donc à la fois le symbole de la perte qui affaiblit le peuple subissant la dictature et l’image très concrète de l’extractivisme pétrolier. Des affrontements embrasent alors la région, opposant les partisans de l’actuel président Ramien de Nubigoa et de l’ancien Mayambass dit Mayam – avatars respectifs du chef d’État congolais Marien Ngouabi et de son prédécesseur Massamba-Débat destitué par un coup d’état militaire en 1968.
LA SPEAKARINE. – Après celle du guide, voici maintenant l’interview du professeur Fabien. (un temps)
LE JOURNALISTE. – Professeur Fabien, pour la grande majorité des Kaboriens, vous êtes un nom — un nom lié à celui de Bota — Un nom que certains associent au drame Botaï. Peut-on vous connaître davantage ?
FABIEN, d’une voix cassée. – Je suis français de nationalité, ou si vous voulez de nationalité française. Mais d’intention et de pratique, je suis humain.
LE JOURNALISTE. – Où est la différence ?
FABIEN. – Dans mes actes et un peu dans mon drame : trente ans d’un travail impossible m’ont amené à la plus sérieuse des découvertes : le pétrole quinze.
LE JOURNALISTE. – C’est quoi pour le dernier des profanes ?
FABIEN. – Une roche — qui met en nos mains la clé du possible. Et bien entendu un nombre insoupçonnable de devoirs et de responsabilités. D’abord elle nous permet de réaliser la fusion nucléaire. (il tousse) Ensuite elle permet la fabrication des cellules artificielles et « l’impression » d’énergie et son émission à grande distance. (il sort un appareil de son sac) Grâce à cette machine qui s’appelle Imprimeur Fabien — nous arrivons à imprimer de l’énergie et à enfouir le mouvement dans n’importe quelle masse morte. Regardez. (il tourne un bouton) Par un simple petit tour d’index — (il pose son briquet sur la table. L’appareil déverse un rayon de lumière intense sur le briquet. Il éteint. Bientôt, le briquet se met à errer sur la table. Il recommence l’expérience avec le Petit Robert, puis avec une brique amenée pour la circonstance. Les objets se promènent sur la table sans toutefois se heurter.) Il faut préciser que cette impression d’énergie est possible à longue distance.
LE JOURNALISTE. – Combien de temps l’objet ainsi traité reste-t-il sous l’effet du mouvement imprimé ?
FABIEN. – Cela dépend simplement de la durée de l’impression. Si l’objet a été entièrement soumis à la lumière Fabien, pendant une minute par exemple, on peut espérer soixante cinq jours de mouvement.
LE JOURNALISTE. – Comment obtient-on la lumière Fabien ?
FABIEN. – Par la combustion du pétrole quinze dans le néon, sous variation orientée du champ des atomes.
LE JOURNALISTE. – Et le Kabora est pour l’instant seul producteur mondial du pétrole quinze.
FABIEN. – Exact. Une partie de l’île de Bota est formée d’un ancien fragment de satellite. La chute de ce fragment se serait produite il y a plusieurs milliards d’années. Il est vrai que des parcelles de cet « intrus satellitaire » sont peut-être tombées sur d’autres régions de la terre. A ce sujet mon collègue, le professeur Poivriolloneff parle d’un satellite de la terre qui aurait éclaté il y a plusieurs milliards d’années, et qui serait l’ancêtre direct ou indirect de notre lune. Evidemment, la science (et nous-mêmes d’ailleurs) – est entre deux gouffres – l’un s’appelle hier et l’autre demain. On ne peut plus regarder en l’un sans tenir compte de l’autre. Vous me comprenez, j’espère !
LE JOURNALISTE. – Parfaitement. Même si vos travaux ont couru plus vite que la langue. Bref, il faut avouer que tout a été facilité par la clairvoyance et la sagesse de notre guide, sir Ramien de Nubigoa ?
FABIEN. – Oui bien sûr. Vous savez… [Mayam donne l’ordre à Clézia d’éteindre la radio]