roman
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Dans un passage de son roman, fortement influencé par le reportage journalistique, Samba Oumar Fall, journaliste de profession, décrit l'impact désastreux de l'action humaine sur l'environnement naturel dans un littoral saint-louisien profondément secoué par l'avancée de la mer. Il dénonce la manière dont les brèches faites dans la Langue de barbarie (surtout celle de 2003) menacent l'existence de plusieurs localités en insistant sur les conséquences écologiques, sociales et économiques.
À Guet Ndar, comme à Santhiaba et à Gooxu Mbacc, nombreuses étaient ces maisons qui faisaient front avec la mer. Cette situation, inimaginable un siècle plus tôt, terrorisait les riverains qui vivaient dans la psychose de l'avancée de l'océan. Jadis, les maisons se trouvaient à une centaine de mètres. En moins d'un siècle, la mer avait grignoté sur la plage de sorte qu'aujourd'hui, la distance qui la sépare des habitations s'était rétrécie comme peau de chagrin. Ce phénomène menaçait fortement l'avenir de ce quartier où les habitants avaient délibérément choisi d'habiter près de la mer qui leur donnait chaque jour leur moyen de subsistance, sans pour autant leur faire de cadeau.
Avec la généralisation des problèmes liés aux changements climatiques au Sénégal, la langue de Barbarie faisait partie des sites les plus touchés du pays. Elle était le siège d'une sévère érosion côtière.
Depuis l'ouverture en 2003 de la brèche pour sauver Saint-Louis des inondations, de nombreux villages de la communauté rurale de Ndiébène Gandiole étaient devenus des zones écologiquement névralgiques et subissaient de plus en plus les conséquences de l'élévation du niveau de l'océan. En l'absence de dispositifs de protection devant permettre la stabilisation du littoral, l'avancée de la mer avait redoublé d'intensité au cours des dix dernières années, menaçant la vie de milliers d'habitants. Au fil des années, ce canal de délestage s'était considérablement élargi, exposant nombre de localités situées sur les berges aux flots mugissants et déferlants de l'Océan Atlantique.
L'ampleur de cette catastrophe environnementale sans précédent n'avait pas épargné l'historique île de Doune Baba Dièye, située à une dizaine de kilomètres de Saint-Louis. Face aux assauts répétés des vagues, l'île n'avait pas tenu longtemps. Sa superficie avait fondu comme beurre au soleil. Avec le phénomène cyclique des marées, chaque jour qui passait était un sursis qui se prolongeait pour ses populations. Les lames de fond, les vents puissants et courants d'eaux terrifiants, leur pire cauchemar, faisaient partie de leur quotidien. Ce paradis s'était mué en véritable enfer.
Chaque jour que Dieu faisait, ce village débordant de vie semblait avoir été visité par un troupeau d'éléphants en furie, tant il était sens dessus dessous. Maisons englouties, d'autres abandonnées, mûrs de clôture affaissés, toitures arrachées, baobabs et cocotiers déracinés, avec les dunettes formées par la poussée des flots et le reflux des vagues constituaient le décor de cette localité devenue en un laps de temps un cimetière de détritus pêle-mêle.
Avec les raz-de-marée de plus en plus violents, accompagnés de rouleaux de plus de quatre mètres de haut, la menace d'une catastrophique écologique continuait de planer sur Doune Baba Dièye. Pour entretenir leurs illusions, certains chefs de carré avaient empilé des sacs de sable pour espérer retenir l'eau en cas de débordement. Mais le combat était inégal.
Naguère considéré comme un véritable eldorado, cette bourgade insulaire avait fini par connaître un appauvrissement sans précédent. La bande de terre où les autochtones cultivaient carottes, choux et oignons avait rétréci comme peau de chagrin sous l'action de l'érosion côtière. L'intrusion de l'eau marinée salée dans la nappe phréatique avait provoqué une salinité accrue des sols, créant ainsi une perte de fertilité. Les champs étaient laissés à l'abandon et les riverains, tout en gardant une foi inébranlable en la volonté divine, s'étaient résignés.
Grignotée chaque année par les eaux austères et avides, une bonne partie de l'île avait disparu. L'embouchure avait mis les populations dans une situation très critique. Et du mythique village de Doune Baba Dièye chargé d'histoires, il ne subsistait plus que souvenirs et légendes extraordinaires que les anciens, parachutés sur d'autres sites, conteraient bien des années plus tard à leurs petits-fils ; ceux qui auront la malchance de voir le jour loin de l'île de leurs ancêtres balayé par les flots.
Doune Baba Dièye n'était pas la seule localité menacée du Gandiolais. Avec l'ouverture récente de deux nouvelles brèches dans la Langue de Barbarie, des village comme Pilot Bar, Tassinière, Keur Bernard, Salguity, mouit, Moumbaye, Degou Niaye, Lakhlare et Mbaw se trouvant sur le long du littoral étaient aussi exposés au même sort. La joie de vivre des populations avait cédé la place à une crainte sans nom. Elles étaient habitées par la hantise rien qu'en pensant à la destruction impitoyable de leurs villages. Elles craignaient que l'intrusion de l'eau marine salée dans les nappes phréatiques provoquât une salinité accrue de leurs sols et une perte de fertilité de leurs terres. Chaque nuit, ils imaginaient que leurs villages pourraient être rayés de la carte du Sénégal. Elles s'attendaient au pire et priaient chaque jour l'Éternel pour qu'Il retarde l'échéance.
Samba Oumar Fall, Mortelles solitudes, Dakar, L'Harmattan, 2019, pp. 43-46
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