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Pierrot (David Jaomanoro)

David Jaomanoro, « Pierrot », Chroniques de Madagascar, Dominique Ranaivoson (éd.), St Maur-des-fossés, éditions Sépia, 2005, p. 53-74; p. 54-55:

On m’appelle Pierrot. Mon étrave de pirogue emprunte ce chemin déjà mille fois fendu comme la chair désabusée d’une amante, ente les palétuviers de la mangrove. De ce qui reste de la mangrove. Repoussée dans ses derniers retranchements, comme une armée vaincue, à bout de résistance, la mangrove. Le gouffre de ce ciel sans fond dans lequel elle poursuit une image évanescente lui renvoie l’écho d’une plainte agonisante. L’aspect maladif, les cheveux rares et blanchis prématurément. Les bras squelettiques d’un mourant. Sans effluves, ces effluves qui excitaient mes narines et les réjouissaient ; aujourd’hui tout juste un semblant de boue, l’âme hérissée de tessons.

Ce spectacle me perce le cœur. Cette brûlante piqûre que je ressens dans la chair de mon cœur. Comme à chaque fois que j’aborde cette île. Pressentiment mêlé d’amertume obscure. Je n’étais jamais allé en prison, mais ça doit ressembler à ça. Ça doit être ça. J’ai beau penser aux bras d’une amante qui se referment autour de ma personne. Les bras deviennent carcan. Il leur pousse des épines. Aux caresses infinies de ses doigts sur ma peau. Mais le moindre frôlement rencontre une écharde dont le bout dépasse. Mes mots les plus tendres semblent se fracasser contre une paroi bétonnée. Et quand elle met ses plus beaux atours, je vois surtout d’innombrables sachets en plastique agités par le vent parmi les branches desséchées et, aux pieds des palétuviers rabougris, des couches de bébé gorgées à étouffer.

Contributrice: Linda Rasoamanana

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