roman

L’inspecteur Alabi et son amante Gloh, la légendaire cheffe de bande des bas-fond de Cotonou, ont donné rendez-vous avec des policiers corrompus aux abords du « Nouveau pont » qui relie les deux rives du lac Nokoué dans les quartiers marécageux de Cotonou.

Le nouveau pont n’a jamais pu se débarrasser de cette étiquette anonyme qu’on lui a collée depuis son érection, au temps de la camaraderie révolutionnaire. Il a déjà, sans émoi, survécu à l’appellation « Pont du 26-Octobre » et rejette avec ironie l’autre nom pompeusement plaqué sur son fronton « pont Martin-Luther-King ». D’ailleurs, rien, dans l’hommage rendu au pasteur noir-américain, ne collait à la réalité. Le buste censé le représenter affichait la tête désespérée d’un quidam, mi-homme, mi-martien, une tocarderie monumentale, signée, dit-on, d’un artiste du cru.

N’empêche. Le nouveau pont traversait le temps avec désinvolture, émergeant du flot ourleux de ses usagers, les deux bras tendus de part et d’autre des rives du lac Nokoué comme une statue figée dans l’éternité.

Minuit trente. La voiture d’Alabi s’était déjà coulée dans l’ombre, un peu à l’écart du pont, tout juste derrière le Centre Islamique, à deux tas d’ordure de la rive lagunaire. Depuis un quart d’heure, Gloh et lui attendaient, moteur éteint, feux de positionnement en veille, postés à l’endroit indiqué, le regard vrillant le noir, prêts à capter l’arrivée du capitaine.

Soudain, un bruit de moteur. D’instinct, l’inspecteur glissa un doigt sur la touche des phares de son véhicule, prêt à lancer des signaux lumineux. Le 4X4 du capitaine apparut, précédé d’une petite voiture à l’immatriculation banalisée.

• Il est là, avertit aussitôt Gloh.
• Et en bonne compagnie, ajouta Alabi.

À l’arrêt des deux véhicules, l’inspecteur et sa compagne mirent pied à terre, écrasèrent quelques débris d’ordures laissés sur place par les piétons, et avancèrent vers les nouveaux venus.

Florent Couao-Zotti, Le Cantique des cannibales, Monaco : Le Serpent à Plumes/Éditions du Rocher, 2004, p. 131-132.