roman
Afrique> Nigéria
On aurait dit qu’une épidémie avait décimé le village. Son centre était dominé par une plate-forme carrée en béton à la manière de quelque autel sacrificiel. Tout autour de la plate-forme était disséminé un attirail d’objets abandonnés servant au forage ; certains semblaient surgir de crevasses s’élargissant dans le béton, à côté d’épaisses touffes d’herbe. Très haut dans les tours de forages rouillées, des guêpes entraient et sortaient de leurs nids. Près de la plate-forme, une pancarte usée par les intempéries indiquait : Puits de pétrole n°2 – 1999 – 15 000 mètres. Les maisons commençaient non loin de la plate-forme à l’abandon. Nous allions d’une structure trapue en briques à une autre, d’une enceinte à une autre, mais toutes étaient vides, les fenêtres grandes ouvertes de guingois sur des charnières cassées, surplombées par un toit percé de grands trous par où se déversait la forte lumière du soleil. Derrière l’une des maisons, nous trouvâmes un enclos à volaille contenant une dizaine de poulets, tous morts et en décomposition, les vers s’affairant sous les plumes. Il nous fallut nous boucher le nez avant de gagner l’enceinte suivante, où il en allait à peu près de même : des marmites ouvertes et vides sur des braises éteintes jouxtaient des canaris remplis d’eau à la surface desquels prospéraient quantité de larves de moustiques. La traversée du petit village nous prit moins d’une heure, passant d’une maison abandonnée à la suivante, prenant des photos, espérant tomber peut-être sur quelqu’un resté là par hasard, un survivant, une voix à interroger.
Nous reprîmes notre route. Zaq semblait sur le point de vomir, son visage transpirait et il amena plusieurs fois la bouteille à ses lèvres avant que son regard se ranime. Nous faisions de fréquentes haltes pour nous reposer et, à chaque fois que nous repartions, le fleuve se rétrécissait. À un moment, nous nous retrouvâmes dans une mangrove impénétrable ; au-dessous de nous, l’eau était devenue croupie et sulfureuse, des essaims d’insectes montaient de la surface avant de s’immobiliser en un nuage mobile au-dessus de nous, nous piquant les bras, le visage et les oreilles. Le garçon et le vieil homme semblaient indifférents à la présence des insectes ; les yeux plissés, ils s’efforçaient de frayer un passage à l’embarcation à travers les racines noueuses et pendantes qui poussaient hors de l’eau tel quelque appendice avide d’air. L’atmosphère s’alourdissait de la puanteur flottante de matières putréfiées. Suivant un coude de la rivière, nous aperçûmes devant nous sur des branches d’arbres des oiseaux morts étendus les ailes déployées, noires et poisseuses de pétrole ; des poissons bondissaient hors de l’eau entre les racines des arbres, montrant leur ventre blanc.
Helon Habila, Du pétrole sur l’eau [2010], trad. Élise Argaud, Arles, Actes sud, 2014, p. 20-22.
The village looked as if a deadly epidemic had swept through it. A square concrete platform dominated the village centre like some sacrificial altar. Abandoned oil-drilling paraphernalia was strewn around the platform ; some appeared to be sprouting out of widening cracks in the concrete, alongside thick clumps of grass. High up in the rusting rigging wasps flew in and out of their nests. A weather-beaten signboard near the platform said : OIL WELL NO. 2. 1999. 15,000 METRES. The house began not to far away from the derelict platform. We went from one squat brick structure to the next, from compound to compound, but they were all empty, with wide-open windows askew on broken hinges, while overhead the roofs had big holes through which strong sunlight fell. Behind one of the houses we found a chicken pen with about ten chickens inside, all dead and decomposing, the maggots trafficking beneath the feathers. We covered our noses and moved on to the next compound, but it wasn’t much different : cooking pots stood open and empty on cold hearths ; mosquito larvae thickly flourished. It took less than an hour to traverse the little village, going from one deserted household to the next, taking pictures, hoping to meet perhaps one accidental straggler, one survivor, one voice to interview.
We left. Zaq looked as if he was about to throw up, his face was seaty, and he raised the bottle to hi slips many times before the alertness returned to his eyes. We often stopped to rest, and the river grew narrower each time we set out again. Soon we were in a dense mangrove swamp ; the water underneath us had turned foul and sulphurous ; insects rose from the surface in swarms to settle in a mobile cloud above usn biting, our arms and faces and ears. The boy and the old man appeared to be oblivious to the insects ; they kept their eyes narrowed, focused on burrowing the boat through the gnarled, hanging roots that grew out of the water like probosces gasping for air. The atmosphere grew heavy ith the suspended stench of dead matter. We followed a bend in the river and in front of us we saw dead birds draped over three branches, their outstretched wings black and slick with oil ; dead fishes bobbed white-bellied between three roots.
Helon Habila, Oil on the Water, London, Penguin Books Ltd, 2011, p. 8-9.