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GOMA RE-BELLE (2020) Byemba Leader
Elle est triste la montagne,
Qui accepte de brûler pour éclairer des hommes
Déjà morts mais qui ronflent et rêvent de demain.
La flamme de sa bouche, le sarcasme d'un pyromane,
Accusé de fumer à la bienveillance d'un ange gardien.
Un tapis large sur le pied du Nyiragongo,
Une tache à la couleur rouge sur la carte du Congo
Un poil solitaire qui vibre au soufflement du Kivu,
Un hymne de pierres et d'accueil
Si la chaleur ou l'hiver étouffent chez vous.
Goma ville, une civilisation qui se construit avec orgueil et fierté
Sur un avenir fragile.
De l'asphalte en mini-jupe,
Goma progresse à la démarche d'une fille facile.
Des rondeurs des ronds-points, la pelouse c'est la blouse des jardins,
Sur nos routes fines comme des flèches se bousculent les bus,
Les trottinettes en bois et les ambulances qui se dépêchent.
Comme tous ceux qui n'ont le choix,
Goma se réveille tôt à la bonne heure.
Le temps, c'est de l'argent
Mais sa jeunesse préfère laisser les deux s'échapper entre deux bouteilles de bière.
La chaleur d’une main avec majeur qui glisse de la nuque aux vertèbres lombaires pour achever une nuit délicieuse et altruiste.
Au réveil j'ai la bonne humeur des militaires de retour de patrouille les poches bombées d’Androïds.
Goma le soir s’enivre et devient fou,
Dance à temps, à contretemps, trébuche, tombe, se relève et s’en fout,
Car il en faut pour adoucir la souffrance et sa musique,
Et si on se blesse dans la chute, au-moins cette douleur qu'on ressent redeviendra physique.
Une architecture qui sommeille dans l'ombre de la chaîne des Virunga,
Des tours Eiffel naturelles.
Des pneus en feu sur le bitume et des pierres en barricades.
Et les chants d'une jeunesse
Qui parle la même langue que les balles réelles.
Une mère,
Infirmière autodidacte, le sang et l'impasse sur ses deux mains tremblantes,
Sel de cuisine, aiguille et fil à coudre, et son fils agonisant allongé sur les carreaux.
Balle perdue qui s'est quand-même logée dans la colonne après avoir perforé une flopée d'organes vitaux.
L'amour aux funérailles, des Kalashs qui nous déclarent leurs flammes,
Des "je t'aime '' en rafale.
Des maisons qui poussent puisque le sol peut s'effondrer à Rubaya.
Le prix de la paix est lourd sans argent on s'acquitte progressivement en coltan,
Circulation libre des pierres précieuses,
Le vigile de la douane a les yeux défaillants.
Ça fait des années que le verre est rempli,
Chaque sang versé est une goutte de trop.
La LUCHA accusée de rébellion,
Le flambeau de nos espoirs qui flotte sur le cratère du Nyiragongo.
À Goma on n’a pas peur du lion,
Puisque déjà tout petit on a appris à apprivoiser un dragon.
Si Kinshasa c'est la tête, Goma c'est à la fois le cœur et les poumons.
Colonie de maisons qui se disputent une vue sur le lac
Qui inspire soupire, le portail de la morgue qui ricane.
Du vent dans la chevelure des toits,
De la gaieté dans les lucarnes,
De l'art qu'on admire,
Quand la lave sort du volcan pour croiser la vague, il n'y a plus des poètes pour écrire.
De la noblesse sous la rouille
Quand les larmes font de l’encre, je vois pas d'avenir pour les gorilles.
Une semence sur la pierre,
Une rose qui sort de terre à la frontière entre deux fosses communes.
Les rosiers fleurissent, c'est la fibre de chair humaine qui nourrit ses racines.
Du sang qui coule sur un sol fertile
Où richesse et pauvreté se conjuguent.
Un bout de paradis triste où la nature a étalé ses numéros.
Un décor paradisiaque où le mauvais temps n'a rien avec la météo.
On peut partir ailleurs, quitter Goma mais Goma ne vous quittera jamais.
De l'eau à boire au goût salé,
Poisson séché noyé dans l'huile de palme qui flotte sur du sombé
Le seul délice qui défie l'aigreur de tout le scénario.
Les taxes qui torturent les vendeuses des légumes et des fruits
Les marchés informels qui poussent au tomber de la nuit
La gentillesse des vendeuses de la pharmacie qui pensent qu'on va revenir.
Goma souffre, il a mal mais sourit,
Tout le monde se trompe, le remède il est local, il est ici, pas à l'ONU.
Novembre 2012, l'enfer se pose sur nos toits,
Le monde peut être choqué mais nous on a sourire sur les images qu'on lui envoie.
C'est la suite de la série, la voilà. L'épisode 23.
Réfugiés piégés entre deux feux,
Vacarmes des mortiers
Effluves d’hystéries, des pleurs et des cris
Tremblement de terre des cimetières
Et les martyres qui arrachent leurs pierres tombales pour servir de bouclier à la ville entière.
La guerre gronde, le ciel est sombre.
Mais au désespoir on répond : « À Goma tu peux venir, tu verras, mais jamais tu nous vaincras ».
L'orbite qui abrite à l’intérieur le Lac Vert, c’est la preuve qu'on a troué un œil à la tyrannie.
Si tu aperçois Goma la nuit en train briller de mille feux, c’est que quelque part il y a incendie.
Des familles sans abris, les murs partis en fumée pour embellir le ciel,
La poussière des corps calcinés qui survole les nuages et éclaire nos nuits comme des lucioles.
Je suis au-dessus du Mont-Goma, je traîne dans ma tête le traumatisme d'un enfant
Le poids d’une plume aspergée de sang
Je baigne dans une constellation des esprits
Des millions des morts victimes d'une ville qui se prosterne devant moi.
Belle, re-belle et cruelle, j'ai envie de tout écrire mais j'ai peur qu’aucune feuille ne puisse panser l'hémorragie de mon vocabulaire.
Je pense sauter
Mais j'hésite encore sur ce rocher à la limite entre ciel et terre.
Sur le bord du lac, je me sens comme à la porte de la cité.
L'eau est calme, j'absorbe la vue, la sagesse pour combler le vide en moi qui déborde.
L'espoir m’aborde... La soirée se réveille de son lit, me sourit habillée de sa plus belle robe.
Un coucher de soleil voilé d'un nuage qui glisse sur la surface du lac et qui laisse sur son sillage des bulles d'émeraudes.
Hier n'a pas satisfait, le futur est incertain mais demain, demain peut tout corriger
Alors Goma continue d'avancer.
Transcription Maëline Le Lay