Ville cruelle (Mongo Beti)

Cameroun
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La circulation, abondante à Tanga, lui donnait une allure dramatique très prononcée. Il ne se passait pas de jour qu’un homme ne fut écrasé par une automobile ou qu’on assistât à une collision spectaculaire de camions. Il semblait justement qu’il y eût trop de camions à Tanga. Peut-être était-ce uniquement parce qu’il y en avait du monde entier : chaque usine avait envoyé au moins un échantillon la représenter dans la ville. On en voyait de longs et osseux comme la carcasse d’un animal préhistorique : certains étaient gigantesques et massifs, faisaient un bruit à vous rendre fou ; d’autres étaient petits, trapus, ramassés. Ils arrivaient du nord ou du sud, de l’est ou de l’ouest, à une vitesse folle. Sans ralentir, ils pénétraient dans la ville, laissant un nuage de poussière triomphal flotter derrière eux, ou éclaboussaient hommes et choses de boue et de latérite rouge : les rues de Tanga n’étaient pas bitumées à l’époque. Ils arrivaient du nord ou du sud, de l’est ou de l’ouest, à une vitesse folle. Sans ralentir, ils pénétraient dans la ville, laissant un nuage de poussière triomphal flotter derrière eux, ou éclaboussaient hommes et choses de boue et de latérite rouge : les rues de Tanga n’étaient pas bitumées à l’époque.

Le Tanga commercial se terminait au sommet de la colline par un pâté de bâtiments administratifs, trop blancs, trop indiscrets. Ils flamboyaient au soleil. Leur vue laissait, on ne sait pourquoi, un irréductible sentiment de désolation.

L’autre Tanga, le Tanga sans spécialité, le Tanga auquel les bâtiments administratifs tournaient le dos – par une erreur d’appréciation probablement – le Tanga indigène, le Tanga des cases, occupait le versant nord peu incliné, étendu en éventail. Ce Tanga se subdivisait en d’innombrables petits quartiers qui, tous, portaient un nom évocateur. Une série de bas-fonds en réalité ! Les mêmes cases que l’on pouvait voir dans la forêt tout au long des routes, mais ici plus basses, plus chiches, plus ratatinées, étaient bâties en matériaux de la forêt qui se raréfiaient à mesure qu’on approchait de la ville.

Deux Tanga… deux mondes… deux destins !

Mongo Béti, Ville cruelle  [1954], Paris, Présence Africaine, 1970, p. 19-20.