Natacha Appanah, "Tropiques de la violence"
Nathacha Appanah, Tropique de la violence, Paris, éditions Gallimard, coll. « Blanche », 2016, 176 pages
Ismaël Saïd, un jeune déscolarisé, a basculé dans la violence et est devenu « Bruce », le chef d’une bande. Il se souvient de son enfance :
« Si tu savais comment c’était avant, la ravine de merde dont tu parles. Une forêt verte en haut que c’était, une forêt où mon père ma mère mes frères et moi venions chaque semaine. […] J’ai huit ans neuf ans dix ans […]. Je vais jouer avec les copains je vais manger chez les copains je grimpe dans les cocotiers dans les manguiers […] je me baigne dans la ravine et ma mère et mes tantes qui lavent le linge me disent de me baigner vers le haut pas dans l’eau savonneuse mais moi j’aime l’odeur du savon et l’eau qui devient blanche je me baigne et ma peau gratte et pèle de ce savon acheté en barres chez Sodifram […].
Mon père sort de sa sacoche un petit pot de miel et un œuf et il les pose près d’un grand arbre. C’est pour les Wanaisas, me dit-il, tu les connais ? Je réponds ce que j’ai appris à l’école coranique Les Wanaisas sont des petits hommes poilus avec des pieds à l’envers et un gros bras gauche qui gardent la forêt et le lit des rivières. […]
J’ai dix ans onze ans et les cases en tôle apparaissent les unes après les autres. Il y a des clandestins qui viennent construire là où il ne faut pas, là où les Wanaisas vivent et ils creusent des trous, ils font des feux, ils posent des tuyaux pour récupérer l’eau des bassins et ils chient partout et le bassin s’assèche et plus personne ne saute car il n’y a plus d’eau et plus personne ne fait la lessive et l’eau sent la merde et la pisse et l’essence. La forêt meurt et à la place il y a les ferblantiers qui recouvrent la terre de fer et de feu. » (p. 80-86)
Contributrice: Linda Rasoamanana