« Makgolwa » (Uhuru Portia Phalafala, 2023)

Texte en français

Publié en mars 2023, le recueil Mine Mine Mine de la poétesse sud africaine Uhuru Portia Phalafala revient sur les conséquences de l’extraction minière en Afrique du Sud. Comme l’indique une note au début du recueil, elle place son travail poétique en écho à un recours collectif contre plusieurs compagnies minières déposé dans les dernières années devant la cour suprême de Johannesbourg par d’anciens mineurs atteints de silicose. Celui-ci s’est soldé en 2018 par une compensation financière accordée aux mineurs. Phalafala souligne que cela ne règle en rien la dette des compagnies envers les mineurs, dont beaucoup sont décédés, et envers leur entourage. Dans son poème, elle va ainsi traquer la violence exercée par l’industrie minière jusque dans l’intimité des familles et des corps. En remontant l’héritage des violences subies, Phalafala tisse les oppressions et les lieux. Au fil du recueil, le trajet des mineurs venus depuis des campagnes lointaines travailler à Johannesbourg ou à Kimberley croise celui des esclaves qui avant eux ont traversé l’Atlantique pour être envoyés dans les plantations. Les profondeurs de la terre rejoignant celle de l’océan, une géographie complexe de l’exploitation conjointe des hommes et de l’environnement se dessine alors peu à peu.

Contributrice: Marie Pernice

Texte en anglais

Published in March 2023, the collection Mine Mine Mine by South African poet Uhuru Portia Phalafala looks at the consequences of mining in South Africa. As a note at the beginning of the collection indicates, she places her poetic work in response to a class action against several mining companies filed in recent years before the Johannesburg Supreme Court by former miners suffering from silicosis. This ended in 2018 with financial compensation granted to minors. Phalafala emphasizes that this in no way settles the companies' debt towards the miners, many of whom have died, and towards those around them. In her poem, she will thus track the violence exercised by the mining industry even in the privacy of families and bodies. By tracing the legacy of the violence suffered, Phalafala weaves together oppressions and places. Throughout the collection, the journey of the miners who came from distant countryside to work in Johannesburg or Kimberley intersects with that of the slaves who before them crossed the Atlantic to be sent to the plantations. As the depths of the earth meet those of the ocean, a complex geography of the joint exploitation of men and the environment gradually emerges.

Contributor: Marie Pernice

Texte en version originale

Version originale

Original version


He came as one, my grandfather
but stood with millions
from rural homelands
Tanzania, Namibia, Zambia, Rhodesia,
Nyasaland, Swaziland, Basutoland
Those deemed raw savages, primitive natives
swallowed by the train, stimela sa malahla
mixed with cattle and coal on freight trains
bringing with them languages and praise poets
spiritual forms, traditional practices
cultural artefacts and choregraphies
they were disgorged in the pits of gold
Time ticking for turnaround track
 
Train.Tirelessly.Returning.To.Fetch.More

On a railroad made of human bones
at the botton of the Atlantic
Conjoining with human teeth
below the cape of storms
masters get shipwrecked
slaves get shipwrecked
vision calcified, caked
with cavities of coral reed
on the way to gold reef
City of Atlantis
with residents from Indonesia, India, Malaysia
Mauritius, Madagascar, Mozambique
the ones who are enslaved in the Cape.
 
After abolisment of slavery
when diamonds were discovered in Kimberley
emancipated slaves were arrested en masse
put in prisons where they were trapped once more
and posted to go work in those mines –
De Beers operated early prisons and mining compounds]
paid the state for use of their prisoned
to meet their demand for cheap labor.
In the same way mining compounds
in Johannesburg were built by the Oppenheimers
the state accepted a loan of six million
from Robert Oppenheimer to build
Soweto’s infamous matchbox houses
which were reservoirs for labor
mechanizing and merchandizing the Black body.
 
Profitable men in chains
prisons bolstering GDP
hunting and taming boys
controlling their movements
burying them alive – legacies of slavery
now archived in the muscles of Black men.
 
The Cape cohort of mining labor
brought their goema
their languages and movements
their foods and spices and spitirual expressions.
They who sailed in the womb of the ship
those whose lungs are filled with saltwater
of the Atlantic and Indian, casualties of the middle passage]
residing in the womb-tomb of the ocean, unable to breathe]
from the hold of the ship to the holding cells,
to mine hostels, the final grave
of mice and men
of underground people, moles, and mules
never to see the sun again
pawns in our breathless and breath-taking civilization
water-logged, dust-clogged lungs
in the furnace, caked into bricks
to lay foundations for erecting sky-raping edifices
palpitating and perspiring through wall streets
into conglomerates of free market global franchises
that capitalize on our disenfranchisement.
 
Abelungu ngoddam
Abelungu ngoddam
Basibiza abo-Jim
Mississippi Goddam!
Mississippi Goddam!
Basibiza abo-Jim

Part 1. Mine: A Litany of Loss. Movement 3. Makgolwa. p.21-23

Texte en français

Traduction française


Il est arrivé tout seul, mon grand-père
mais il s’est retrouvé avec des millions d’autres
venus des campagnes de leurs pays
Tanzanie, Namibie, Zambie, Rhodésie
Nyassaland, Swaziland, Basutoland
Ceux qu’on considérait comme des brutes sauvages, des autochtones primitifs]
avalés par le train, stimela sa malahla
mélangés au bétail et au charbon dans des trains de marchandises]
emmenant avec eux langues et bardes
croyances, coutumes,
objets traditionnels et chorégraphies
ils ont été vomis dans les puits des mines d’or
Comptant les minutes qui les séparaient du chemin du retour]

Le.Train.Repartant.Inlassablement.En.Chercher.d’Autres

Sur une voie ferrée faite d’os humains
au fond de l’Atlantique
Fusionnant avec des dents humaines
sous le cap des tempêtes
les maîtres sombrent
les esclaves sombrent
vision calcifiée, recouverte
par les cavités des brins de corail
en route vers la veine d’or
Cité de l’Atlantide
dont les habitants viennent d’Indonésie, d’Inde, de Malaisie]
de Maurice, de Madagascar, du Mozambique
ceux-là même qui sont réduits en esclavage au Cap

Après l’abolition de l’esclavage
quand on a découvert des diamants à Kimberley
des esclaves affranchis ont été arrêtés en masse
jetés dans des prisons où ils étaient une fois de plus pris au piège]
et envoyés travailler dans ces mines –
De Beers gérait les premières prisons et les quartiers surveillés des mineurs]
payait l’état afin de se servir de leurs prisonniers
pour satisfaire leurs besoins de main d’oeuvre bon marché.]
De la même façon les quartiers surveillés des mineurs
à Johannesbourg ont été construits par les Oppenheimer
l’état a accepté un prêt de six millions
de la part de Robert Oppenheimer pour constuire
les minuscules maisons tristement célèbres de Soweto
qui étaient un réservoir de main d’oeuvre
contribuant à la mécanisation et à la marchandisation du corps noir.

Des hommes rentables enchaînés
des prisons qui font croître le PIB
chassent et domptent les jeunes hommes
contrôlent leurs déplacements
les enterrent vivants – héritage de l’esclavage
maintenant archivé dans les muscles des hommes noirs.

La cohorte des mineurs venus du Cap
a amené ses goema
ses langues et ses gestes
sa nourriture, ses épices et sa spitiualité.
Eux qui ont navigué dans le ventre du bateau
Eux dont les poumons sont remplis de l’eau salée
de l’océan Atlantique et de l’océan Indien, victimes du Passage du milieu]
habitant dans le ventre-tombeau de l’océan, privés d’air
de la cale du bateau aux cellules de détention
aux hôtels pour mineurs, la dernière demeure
des souris et des hommes
du peuple souterrain, taupes, et mules
destinés à ne jamais revoir le soleil
des pions dans notre civilisation essoufflée et à couper le souffle]
les poumons gorgés d’eau, encrassés par la poussière
dans le fourneau, briques modelées
pour poser les fondations sur lesquelles ériger des gratte-ciels outrageurs]
qui palpitent et transpirent à travers les quartiers financiers]
jusque dans les conglomérats de franchises du marché global libéralisé]
qui capitalisent sur le refus de nous affranchir.

Abelungu ngoddam
Abelungu ngoddam
Basibiza abo-Jim[1]
Mississippi Goddam!
Mississippi Goddam!
Basibiza abo-Jim

[1] « Whites be damned, they call us Jim », protestation qui rythmait le travail des mineurs et des ouvriers noirs.