"L'or du diable" (Moussa Konaté)

LADJI. – Doucement ! Doucement, Korotoumou. Ne te fâche pas pour si peu. Tu ne m’as pas compris. Je vais te dire pourquoi j’agis comme si j’avais de l’or. Tu sais bien que mes rêves se réalisent toujours. Ainsi, hier nuit, un ange m’est apparu dans mon sommeil. Il tenait le Coran dans la main gauche et un bâton dans la main droite. Quand je l’ai aperçu, je lui ai demandé : mon heure serait-elle arrivée ? Il a répondu : non. Je lui ai demandé : quelle faute irréparable ai-je commise ? Il m’a répondu : aucune. Je lui ai alors demandé : quel malheur es-tu venu me prédire ? Il m’a dit en souriant : « Rassure-toi, ô Ladji Kéité, ô grand Ladji, Allah n’oublie pas ses fidèles, Il les récompense toujours de leurs peines. Les hommes s’entretuent à cause de l’or qui est dans le fleuve. En vérité, Allah n’a pas envoyé l’or pour eux. Toi, tu es un élu. Regarde ce bâton qui brille : c’est de l’or. Du fleuve, tu en retireras autant. Rassure-toi. » Tu entends, femme ? J’ai voulu parler de nouveau, mais l’ange a disparu. Comment veux-tu que je ne croie pas à ce que notre Créateur m’a révélé ? C’est ce même ange qui m’a prédit la mort de ton oncle Sibiri. Ne te l’ai-je pas dit ? Ton oncle n’est-il pas mort ?
KOUROTOUMOU. – C’est vrai.
LADJI. – Le même qui m’a prédit que les hommes connaîtront une année de famine. Ne te l’ai-je pas dit ?
KOUROTOUMOU. – C’est vrai.
LADJI. – N’y a-t-il pas eu la famine ?
KOUROTOUMOU. – C’est vrai.
LADJI. – Voilà pourquoi je crois déjà posséder cet or. Si Fangatigui s’y met, il est impossible qu’il ne me rapporte pas autant d’or que l’ange me l’a affirmé.
KOUROTOUMOU. – Tu aurais dû m’en informer !
LADJI. – Toutes choses ne sont pas bonnes à dire, femme.
KOUROTOUMOU. – Tu devrais penser à m’acheter deux grands boubous brodés et une paire de chaussures, parce qu’il y a des années que je n’ai pas porté un habit neuf.
LADJI. – J’y ai pensé, femme, j’y ai pensé. Korotoumou, tu es une femme modèle. Allah aime qu’on dise vrai ; tu es une femme modèle. Une autre que toi serais partie depuis longtemps ou aurait emprunté de mauvais chemins, mais tu n’as rien fait de tout ça. Voilà pourquoi Allah t’a récompensée. Nous sommes finalement sortis de cette misère, c’est grâce à moi, oui, mais c’est aussi grâce à toi.
[…]
LADJI. – Comment se peut-il que tu n’aies pas trouvé même un mitkal d’or ? Je n’arrive pas à y croire.
FANGATIGUI. – J’ai pourtant creusé, mon oncle, j’ai tellement creusé que j’ai mal au dos.
LADJI. – Tu parles trop, Fangatigui !
FANGATIGUI. – Si j’avais creusé davantage, j’aurais découvert du pétrole. Je le jure par le diable Mamourou.
LADJI. – Je t’ai interdit de parler ainsi !
FANGATIGUI. – Oui, mon oncle, je ne parlerai plus jamais ainsi.
LADJI. – Vois-tu, Fangatigui, je fondais beaucoup d’espoir en cet or.
FANGATIGUI. – Je sais, mon oncle.
LADJI. – Moi, j’avais cru entrevoir la fin de ma misère… Se peut-il qu’il n’y ait pas d’or dans le fleuve ?
FANGATIGUI. – Il n’y en a pas du tout, mon oncle.
LADJI. – Mais pourquoi nous ont-ils dit qu’il y en avait beaucoup ?
FANGATIGUI. – Mais qui l’a dit ?
LADJI. – La radio et tous ceux qui y parlent.
FANGATIGUI. – La radio ne dit jamais vrai, mon oncle. Nous la connaissons bien, nous.
LADJI. – A-t-on le droit de se moquer de ceux qui n’ont rien ?
FANGATIGUI. – Non, mon oncle.
LADJI. – Allah a écrit dans le Coran : « O hommes souvenez-vous que du ciel Je vous observe. Quiconque se sera moqué des pauvres ne verra pas le paradis. »
FANGATIGUI. – Oui, mon oncle.
LADJI. – Puisque tu étais venu chercher de l’or et qu’il n’y a pas d’or, il faudra bien que tu retournes à Bla. N’est-ce pas, Fangatigui ?
FANGATIGUI. – Oui, mon oncle.
LADJI. – Tu diras à ton père, mon frère Sadio, que le monde est à l’envers.
FANGATIGUI. – Oui, mon oncle.
LADJI. – Cette histoire d’or, Fangatigui !
FANGATIGUI. – Je te l’avais pourtant dit, mon oncle : l’or appartient toujours au diable. Quand le diable veut tromper les hommes pour leur faire oublier la droiture, il leur montre de l’or. Les hommes se précipitent là-dessus, ils s’entretuent, et le diable rit, car ce n’est pas de l’or, mais seulement une illusion.
LADJI. – Tes souliers en plastique ne t’ont pas tourné la tête, Fangatigui. Te voilà devenu imam. Va !

Moussa Konaté, L’or du Diable, L’Harmattan, coll. Encres noires, 1985 : p. 66-67 ; p. 82-84

Contributrice: Alice Desquilbet