Le jour des caméléons (Ananda Devi)

Maurice
  • français

Texte en français

Les protagonistes, Nandini, René et Sara, arrivent à la plage de la Baie du Tombeau, à Port-Louis, mais se retrouvent frappés par son état dégradé, bien loin de l’image de carte postale dont ils avaient le souvenir. Ils découvrent un paysage laid, aride et contaminé, témoin d’une profonde dégradation : l’intervention humaine a produit des infrastructures qui semblent précaires et menaçantes et les déchets dispersés sur la jetée témoignent d’un désordre écologique, ainsi que d’un désœuvrement humain. En opposant la réalité actuelle de contamination aux souvenirs des personnages, l’auteure souligne l’impact destructif de cette transformation et la force des stéréotypes touristiques, qui conditionnent même la perception des habitants locaux, les rendant aveugles face à la dégradation de la nature et à la détérioration de leurs conditions de vie.

Contributrice: Cecilia Mandelli

Texte en anglais

The protagonists, Nandini, René and Sara, arrive at the beach of Baie du Tombeau, in Port-Louis, but find themselves struck by its degraded state, far from the postcard image they remembered. They discover an ugly, arid and contaminated landscape, witness to profound degradation: human intervention has produced infrastructures which seem precarious and threatening and the waste scattered on the pier testifies to ecological disorder, as well as idleness. human. By contrasting the current reality of contamination with the memories of the characters, the author underlines the destructive impact of this transformation and the force of tourist stereotypes, which even condition the perception of local inhabitants, making them blind to the degradation of nature and to the deterioration of their living conditions.

Contributor: Cecilia Mandelli

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De guerre lasse, le chemin vient mourir sur une sorte de jetée. Une bande de ciment verdâtre, soutenue par des tronçons métalliques bouffés par la rouille, étend un doigt vacillant dans l’eau. Le long du bras de sable rocailleux, un débarcadère bétonné contourne le promontoire de rochers pour rejoindre la côte qui conduit, plus loin, aux quais, à la rade et au Caudan. Pas de plage, pas d’arbres, pas de bancs : juste ces dalles grises recouvertes d’algues, que vient laper une mer inamicale. Partout, les signes du désordre et du désœuvrement humain : jetés tout autour d’une poubelle, du papier gras, des boîtes de nourriture jetables, des mégots, des bouteilles d’alcool, des préservatifs dont le nombre semble témoigner d’une activité sexuelle frénétique, et des seringues. Rien ne ressemble à ce que connaît leur mémoire. C’est peut-être pour cela qu’ils refusent l’évidence : le chemin, leur route, se termine ici. Ils croient voir une trace de lumière dans le ciel et un trait de bleu dans la mer : la rémanence de l’île dans leurs yeux. Il est impensable, sur une île pareille, leur île – celle dont la splendeur n’a jamais été mise en doute et qui a tant été vantée dans les campagnes de tourisme que les habitants eux-mêmes se sont mis à y croire, même si leur espace de vie était érodé et envahi par le béton – qu’une telle laideur puisse exister. Ils ignorent donc ce qu’ils voient. Et, alors qu’ils pourraient encore faire demi-tour et repartir, car il est encore temps, peut-être, qui sait, encore temps de déjouer la machination, cette idée ne leur traverse même pas l’esprit.

Ananda Devi, Le Jour des caméléons, Paris, Grasset, 2023, p. 78.