La Sanaga d'un barrage à l'autre (Gaston-Paul Effa)

Cameroun
  • français

Texte en français

Lors d’un voyage en train de Douala à Yaoundé, Gaston-Paul Effa décrit le fleuve Sanaga entre les deux barrages d’Edéa et de Song Loulou.

Texte en anglais

During a train trip from Douala to Yaoundé, Gaston-Paul Effa describes the Sanaga River between the two dams of Edéa and Song Loulou.

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Tous ces fleuves, et je perçois dans le nom de certains d’entre eux je ne sais quelle promesse, je ne sais quelle tendre et mélancolique alliance, et j’en veux soudain au train de continuer à m’emporter sans avoir seulement ralenti pour le permettre de mieux l’entendre, de lui répondre : ainsi ce nom, la Sanaga, m’émeut-il toujours aussi inexplicablement, de la même sorte d’émotion que je n’ai pas cessé de ressentir devant les douces et mystérieuses sonorités de ce nom, à cause des trois a, voyelles tendres et liquides qui n’attendent peut-être que ma passion pour se métamorphoser en fille, ou en jeune fille plutôt, déjà un peu blessée, ce qui la rend plus émouvante encore.

Cette sinuosité fugitive, la Sanaga, ne dansera plus, quelque temps encore, que dans ma rêverie, où elle s’ensablera bientôt sans, pourtant, y être jamais bue tout entière, dans mon souvenir déjà ; mais il y a, plus loin en descendant, juste avant que le fleuve ne se jette dans la mer, ces pirogues qui glissent, silencieuses, sur les eaux captives non loin des turbines et des valves géantes ; et ce barrage d’Edéa que le train se contente de franchir pour le laisser bientôt derrière lui, qu’il longe, s’en approchant et s’en écartant tour à tour.

Accoudé à la vitre ouverte et la tête, délicieusement, sauvagement, battue par le vent, penché au dehors, je vois, loin en contrebas, au fond des gorges rocheuses couleur d’ardoise mouillée, l’imprévisible et torrentielle apparition de l’eau, qui rompt son cours tranquille pour dévaler une marche gigantesque dans le fracas impressionnant de sa chute. A peine cependant le train, s’approchant vertigineusement du barrage Song Loulou, permet-il d’apercevoir la mince, la limpide cascade de caillou en caillou dévalant son lit, tout au fond, un tunnel que nous traversons vient d’en l’instant m’en dérober le bondissement et la retrouverai-je au terme de ce ténébreux couloir, aura-t-elle fui à jamais, attisant, sans la satisfaire, mon anxieuse curiosité ?

Il me semble que je fais autant partie du fleuve que les pierres, les joncs, les pirogues et les poissons mêmes. Ces instantanés insignifiants, nés de la vitesse du train, ce sont eux, peut-être, qui ont le plus de prix à mes yeux.

Rien ce soir ne pourrait me paraître plus beau, mieux accordé à ma rêverie, que le nœud ferroviaire de Douala-Yaoundé, alors que je commence à voir l’éparpillement anarchique de la capitale du Cameroun. Mon regard délaisse alors un instant, sans pouvoir encore vraiment s’en détacher, l’enchevêtrement mystérieux des rails, proliférant comme des lianes et luisant dans le crépuscule.

Gaston-Paul Effa, Yaoundés instantanés, Martel, Les Éditions du Laquet, 2003, p. 11-15.