La danse du vilain (Fiston Manza Mujila)
Début composition (création)
Début composition (création)
Texte en version originale
Version originale
1. La vie incendiaire et inénarrable de Tshiamuena, surnommée – à juste titre et à titre posthume – la Madone des mines de Cafunfu, en dépit de la jalousie de certains orpailleurs en mal de charisme, d’ambition et d’enthousiasme.
[…] Tshiamuena était une grande dame, un être exceptionnel, une mère pour beaucoup parmi nous, une reine, une femme puissante… Elle n’avait pas la silhouette des cantatrices, la splendeur des miss, ni l’allure impériale des duchesses, mais nous subjuguait et nous hypnotisait des qu’on croisait ses yeux. On la regardait droit dans le visage et tout de suite, on était pris d’une épilepsie. Nous autres les Zaïrois – pour la plupart nés après 1960 – on fondait en larmes des qu’on taillait bavette avec elle. Lorsque Tshiamuena évoquait la contrebande dans les années 1970, tout juste au lendemain de l’Indépendance de l’Angola, aucun mâle n’osait lever son petit pouce pour contester la véracité de ses propos. Elle énumérait des généalogies entières de creuseurs – patrocinadors, dona moteurs, lavadors, plongeurs, karimbeurs… Elle n’était pas la mémoire de l’Angola. Elle était l’Angola. L’autre Angola. L’Angola des mines, de l’argent, des diamants, des éboulements, de la rivière diamantifère de Kwango ; l’Angola dont tout homme – amoureux de l’argent ou non – rêve au moins une fois dans sa vie. Tshiamuena était informée de toutes les combines entre le Zaïre et l’Angola, connaissait sur le bout des doigts les allers et retours des Zaïrois, savait quand un tel ou un tel était entré pour la première fois en Angola, par quel chemin de traverse, avec quel capital dans sa gibecière… Dans ses rares moments de folie – puisque Tshiamuena perdait la boule, à en croire ses longues tirades et ses papillonnements de sourcils –, elle énumérait les trépassés ; des listes entières de gamins, tous zaïrois, tombés dans leur quête effrénée de l’enrichissement précoce par le biais des diamants d’autrui – c’est-a-dire des pierres angolaises. Aucun hoquet, aucune parole naïve, aucun rire – alors qu’il était habituel dans les mines de Cafunfu de croiser des jeunes Zaïrois qui riaient à pleines dents sans raison apparente – ne venaient l’interrompre dans son élan narratif. Son faciès rayonnant permettait aux uns et aux autres d’admirer ses fossettes.
[…] Ah ! la Madone, Tshiamuena, une femme remarquable ! Tous les Zaïrois ayant forgé leurs premières armes en Angola auraient pu témoigner pour elle, même avec le fusil sur la tempe. La Madone des mines de Cafunfu n’était sûrement pas de la même viande que nous autres égarés pendant des siècles dans les mines alluvionnaires de l’Angola. C’était une merveilleuse personne. Oasis dans le désert du Klahari. Eau potable. Terre-Mère. Gardienne du temple. Chemin de fer dans la broussaille de nos rêves écornés Déesse de la Mangeaille. Fleuve Zaïre en miniature. Architecte de nos désirs d’opulence. Fille Ainée de l’argent et de l’abondance. Sainte Patronne des orpailleurs zaïrois de Lunda Norte. Ah ! la Madone ! Des kilometres d’amour au service des Zaïrois de la diaspora. Tenez, les services diplomatiques de la République du Zaïre en Angola étaient en panne sèche – fermés, caducs, cadenassés – pour des raisons de belligérance, mais la Madone à elle seule incarnait l’ambassade zaïroise.
À l’époque tout un pan de la province de l’Angola – y compris Cafunfu – se trouvait sous le contrôle de la rébellion qui tenait d’une main de fer les concessions minières. Ils réglementaient au millimètre près les fréquentations dans les mines. Ils percevaient des copals sur chaque diamant ramassé. Les carrières n’étaient accessibles qu’aux heures prescrites. Les creuseurs se devaient de posséder un permis et pour squatter dans les camps et pour pénétrer dans les mines sans quoi ils pouvaient être molestés jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’est au cours de ces fâcheuses circonstances que la Madone entrait en scène. Elle délivrait les captifs des griffes de la rébellion, se servait de ses accointances en commençant par ses maris angolais dans l’ordre chronologique – Mitterrand, Kiala, Augustino, José – afin de permettre aux uns et aux autres d’entrer en possession de la paperasse, soignait les malades et les accidentés par éboulement, distribuait de la nourriture aux plus démunis, se démerdait pour rapatrier la dépouille mortelle de ceux dont les famille ne pouvaient pas s’aventurer en Angola… La liste de ses bienfaits est longue comme le fleuve Zambèze.
Fiston Mwanza Mujila, La danse du vilain, Paris, éditions Le Métailié, 2020, p. 11-16.
Contributrice: Alice Desquibet
Texte en anglais
English translation
1. The incendiary and indescribable life of Tshiamuena, nicknamed – rightly and posthumously – the Madonna of the Cafunfu mines, despite the jealousy of certain gold miners in search of charisma, ambition and enthusiasm.
[…] Tshiamuena was a great lady, an exceptional being, a mother to many among us, a queen, a powerful woman… She did not have the silhouette of a singer, the splendor of a miss, nor the imperial appearance of a duchess, but captivated and hypnotized us as soon as we met his eyes. We looked at her straight in the face and immediately we had epilepsy. We Zaireans – most of whom were born after 1960 – burst into tears as soon as we talked with her. When Tshiamuena spoke about smuggling in the 1970s, just after Angola’s Independence, no male dared to raise a thumbs up to contest the veracity of his words. She listed entire genealogies of diggers – patrocinadors, dona motors, washers, divers, karimbers… She was not the memory of Angola. She was Angola. The other Angola. Angola of mines, silver, diamonds, landslides, the diamond-rich Kwango river; the Angola that every man – lover of money or not – dreams of at least once in his life. Tshiamuena was informed of all the schemes between Zaire and Angola, knew inside out the comings and goings of the Zaireans, knew when so-and-so had entered Angola for the first time, by which side route, with what capital in her bag… In her rare moments of madness – since Tshiamuena was losing her mind, if her long tirades and her fluttering eyebrows are to be believed – she would list the deceased; whole lists of kids, all from Zaire, who fell in their frantic quest for early enrichment through other people’s diamonds – that is to say, Angolan stones. No hiccups, no naive words, no laughter – although it was usual in the mines of Cafunfu to come across young Zairians who were laughing out loud for no apparent reason – came to interrupt his narrative momentum. His radiant features allowed everyone to admire his dimples.
[…] Ah! the Madonna, Tshiamuena, a remarkable woman! All Zairians who forged their first weapons in Angola could have testified for her, even with a gun to their head. The Madonna of the Cafunfu mines was surely not the same meat as the rest of us lost for centuries in the alluvial mines of Angola. She was a wonderful person. Oasis in the Klahari Desert. Drinking water. Mother Earth. Guardian of the temple. Railway in the bush of our dog-eared dreams Goddess of Eating. Zaire River in miniature. Architect of our desires for opulence. Eldest daughter of money and abundance. Patroness of Zairian gold miners in Lunda Norte. Ah! the Madonna! Miles of love serving Zairians in the diaspora. Look, the diplomatic services of the Republic of Zaire in Angola were running out of steam – closed, obsolete, padlocked – for reasons of belligerence, but the Madonna alone embodied the Zairian embassy.
At the time, a whole section of the province of Angola – including Cafunfu – was under the control of the rebellion which held the mining concessions with an iron fist. They regulated attendance in the mines to the millimeter. They collected copals on each diamond collected. The quarries were only accessible at prescribed times. The diggers had to have a permit to squat in the camps and to enter the mines, otherwise they could be molested to death. It was during these unfortunate circumstances that the Madonna entered the scene. She delivered the captives from the clutches of the rebellion, using her connections starting with her Angolan husbands in chronological order – Mitterrand, Kiala, Augustino, José – in order to allow each of them to come into possession of the paperwork, treated the sick and those injured by landslides, distributed food to the most deprived, managed to repatriate the mortal remains of those whose families could not venture into Angola… The list of its benefits is as long as the Zambezi River.
Fin de composition (création)