"Chems Palace" (Ali Bécheur)

Tunisie
  • français

Texte en version originale

Version originale


C’est l’aube d’un jour parmi les jours qui point sur le grand erg oriental. Une lueur d’incendie dévore le fil d’horizon émergeant de la nuit, étoffe exténuée de lessives, qui s’embrase. Un ressac de feu engloutit les derniers lambeaux d’ombre.

Je prends mon essor dans une mer de nacre et d’or.

Lève les yeux. Tu me vois ? C’est moi, là-haut, l’épervier. Planant – armaturé d’acier, pennes et rémiges frottés à la fournaise, pailletées d’éclats de vif-argent -, dérivant à travers l’océan d’incandescence.

Je suis celui qui voit.

Sous moi la terre se dénude. Le sable y dessine ses rides millénaires, y creuse ses crevasses que le vent lisse, déplace, lèche de sa langue âpre. Si je suis le roi du ciel, il est le souverain de la terre. Il s’y goberge en territoire conquis, y fait galoper ses hordes de mustangs, dont les crinières hérissent leurs ébouriffements de poussière. C’est une aile incommensurable qui s’abat, rugissante, s’acharnant à s’inscrire en ronde-bosse, en bas-reliefs, en longues arabesques chantournées sur le roc qu’elle rabote, sur le calcaire qu’elle effrite, sur le jef-jef [1]d’où elle arrache de noires nuées de particules oxydées. Ses mille gouges y aiguisent leurs lames, soulevant une mitraille qui n’a de cesse de grêler cet ossuaire minéral.

Et là, à la lisière de l’éboulement de la rocaille sacrifiée par la balafre des gorges ; là, à la lèvre du chott[2] scintillant de sel ; là, abritée sous la muraille érigée aux couffins du sable et du chaos, là où l’infini finit par se fracasser sur le rocher comme un rêche rouleau sur un brisant. Là, cette braise qui arde sous le soleil rasant, ce bijou barbare serti dans l’immensité de la désolation, épinglé sur la tunique de cilice des anachorètes en mal de sainteté. Là un scarabée affleure à peine entre pulvérulence et caillasse, vulnérable, obstiné, pathétique (comme seule peut l’être une création abandonnée des dieux), diapré de jade, semé de copeaux de topaze et d’éclats de turquoise.

Survivant, toujours ressuscitée, s’extirpant vaille que vaille des profondeurs arides, telle la pierre gravée des sarcophages enfouis en de secrètes cryptes. Talisman pour traverser les ténèbres, pèlerin de l’envers de l’existence. Poignante, telle la palpitation d’une étincelle de vie prise au piège des affres assoiffées de la mort.

L’oasis.

Ali Bécheur, Chems Palace, Tunis, Elyzad, 2014, pp. 11-13.


[1] Vent de sable.

[2] Marais salant.

Texte en anglais

English translation


It is the dawn of a day among days that dawns on the great eastern erg. A glow of fire devours the thread of horizon emerging from the night, fabric exhausted from laundry, which bursts into flames. A fiery undertow engulfs the last shreds of shadow.

I take flight in a sea of ​​mother-of-pearl and gold.

Look up. Do you see me? It’s me, up there, the hawk. Soaring – armored in steel, feathers and flight feathers rubbed in the furnace, spangled with shards of quicksilver – drifting across the ocean of incandescence.

I am the one who sees.

Beneath me the earth becomes bare. The sand draws its age-old wrinkles, digs its crevices that the wind smooths, moves, licks with its harsh tongue. If I am the king of heaven, he is the ruler of the earth. He gorges himself on conquered territory, makes his hordes of mustangs gallop there, whose manes bristle with dust. It is an immeasurable wing which falls, roaring, insisting on inscribing itself in the round, in bas-reliefs, in long scrolled arabesques on the rock that it planes, on the limestone that it crumbles, on the jef-jef from where it tears off black clouds of oxidized particles. Its thousand gouges sharpen their blades, raising grapeshot which never ceases to pockmark this mineral ossuary.

And there, at the edge of the landslide of the rock sacrificed by the scar of the gorges; there, at the lip of the salt-glistening chott; there, sheltered under the wall erected to the baskets of sand and chaos, there where the infinite ends up shattering on the rock like a rough roller on a breaker. There, this ember which burns under the low sun, this barbaric jewel set in the immensity of desolation, pinned on the hair shirt tunic of the anchorites in search of holiness. There a beetle barely emerges between powder and stone, vulnerable, obstinate, pathetic (as only a creation abandoned by the gods can be), stained with jade, strewn with shavings of topaz and shards of turquoise.

Survivor, always resurrected, extracting herself from the arid depths, like the engraved stone of the sarcophagi buried in secret crypts. Talisman to cross the darkness, pilgrim from the other side of existence. Poignant, like the palpitation of a spark of life trapped in the thirsty throes of death.

The oasis.

Texte en français

Contributrice: Olfa Abdelli

Texte en anglais

Contributor: Olfa Abdelli