roman

Kiro Bizimungu, seigneur de guerre mis entre parenthèses, observa un moment les graphiques, les cartes, les affiches épinglées aux murs. Le parc national de la Salonga s’étendait principalement dans la province de l’Équateur. Sur les photos devant lui, on ne voyait rien d’autre qu’une couverture inextricable vert sombre affectant tout le centre du pays. On appelait cela l’un des poumons du globe. Mais si lui, le commandant Kobra Zulu, ne respirait plus convenablement, à quoi cela pouvait-il servir ? Il en suffoquait de colère. L’homme méprisait un grand nombre de choses, et les seuls qui méritaient son estime indéfectible étaient les États-Unis d’Amérique. Eux, pour s’emparer du Vietnam, avaient eu recours à l’agent orange ! Qui s’en était plaint ? Si au moins il parvenait à s’en procurer ne fût-ce qu’une petite quantité, c’en serait fini de tous ces arbres. Au bout du compte, c’était lui le patron de cet espace. Avec le pétrole qui pullulait en dessous, qu’est-ce qu’on avait à faire de la verdure ? Sans compter les diamants et autres produits inestimables. Kiro rêvait d’un Congo pacifié au napalm où l’on n’aurait plus qu’à exploiter les richesses du sous-sol. La main-d’œuvre était là, ne manquait que la volonté politique. À force d’observer ce qui ressemblait à un étalage de brocolis, gagné par la nausée, Kiro prit quand même la décision – en convenant qu’il était sans doute encore un peu tôt – de descendre deux ou trois bières, cela lui ferait le plus grand bien.

In Koli Jean Bofane, Congo Inc. Le testament de Bismarck, Paris, Actes Sud, 2014, p. 82-83.