roman
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Cyprian Ekwensi, La Brousse ardente, trad. Françoise Balogun, Paris, Présence Africaine, 1978, p. 52-53
La Brousse ardente est - entre le réel et l'imaginaire - un récit du Nord du Nigeria où, lorsqu'on brûle l'herbe dans les plaines, les bergers Fulani descendent vers le sud, vers les rives du Niger. Mai Sunsaye, le héros de l'histoire, souffre du sokugo ou maladie de l'errance.
*
La sueur couvrait les bras de Mai Sunsaye comme des taches d’écume. Une chaude ardeur envahissait ses membres d’un fourmillement. Mais il était las. Dans le veld, les rayons verticaux du soleil tremblaient et créaient des mirages. La vue de quelques chaumières lui redonna du courage.
Au fur et à mesure qu’il approchait, le mur d’enceinte du village se détachait de mieux en mieux. Derrière se dressait un baobab géant qui tordait ses branches noueuses et sans feuilles sur le bleu du ciel. Dans les arbres plus sombres, des piques-bœufs blancs et des vautours se battaient avec un grand bruit d’ailes.
Les murs du village et les arbres donnaient quelques promesses de vie et leur vue lui redonna du courage. Il hâta le pas. Ses sandales claquaient sur le sol et la poussière s’élevait et recouvrait ses pieds. Il était impatient de trouver un endroit frais et ombragé où il pourrait se laver et dire ses prières du midi.
Ce qu’il avait vu était bien le mur d’enceinte d’une ville ; il arrivait à peine à la taille d’un homme. A l’intérieur, il y avait des huttes de terre sèche, sans toit. Cela lui sembla bizarre et, en s’approchant, il remarqua aussi que le mur d’enceinte semblait avoir été brisé par endroits. C’était un spectacle de désolation.
Il entra dans la ville par un large sentier marqué de chaque côté par de très gros baobabs. Les traces de roues d’une voiture étaient encore fraîches et il lui semblait sentir l’essence et la poussière. Aussitôt qu’il franchit l’entrée, une voix l’arrêta en criant : « Mallam ! »
Sunsaye se retourna. D’abord il ne vit personne. En regardant mieux, il remarqua in homme si poussiérieux qu’il semblait se confondre avec la poussière. Il serrait un gourdin contre lui ; il le tenait à la main et ses yeux brillaient avec férocité.
– Salut à toi, dit Sunsaye qui se demandait ce qu’il avait fait de mal.
D’un mouvement furtif comme celui d’un serpent, l’homme s’approcha.
– Où vas-tu, mon fils ?`
– Moi ? dit Sunsaye.
Cela faisait plus de vingt ans qu’on ne l’avait pas appelé « mon fils ». « Je vais dans ce village. »
Le vieil homme rit :
– Le village. Ah, ah, ah ! Le village !
Son rire était glacial. Sunsaye, irrité, se détourna soudain et reprit son chemin. Tandis qu’il marchait, il eut l’impression que quelque chose de sinistre l’attendait. Le rire désagréable du vieil homme résonnait encore dans ses oreilles. Cet après-midi, c’était pourtant réel. De nuit, il aurait pu chasser l’image de son esprit comme un simple fantasme.
La première maison à laquelle il arriva n’avait pas de toit, et l’on pouvait voir qu’elle avait subi les ravages du feu. Dans les autres maisons, il y avait des toiles d’araignée. Des rats sortaient en plein jour, se tenaient sur leurs pattes arrière et se lavaient les pattes avant comme un homme se lave les mains. Il continua. Les signes de désolation étaient partout de plus en plus nombreux. Il y avait des étals de marché creusés dans le bloc, jonchés de feuilles pour l’emballage ; il y avait des pots cassés qui contenaient encore un peu d’eau dans laquelle les moustiques proliféraient abondamment ; des cuillers, des chaises, des boîtes rouillées, des épluchures de canne à sucre, des traces de sabots d’âne.
Il pouvait même voir les cendres du feu où les bouchers avaient l’habitude de griller le bœuf sur des brochettes pour les vendre aux jeunes gens. Mais où étaient les bouchers, et les paysans, et les forgerons ? Etaient-ils morts, enterrés, noyés par quelque inondation ou réduits en cendre ? (p. 52-53)
*
Cyprian Ekwensi, Burning Grass, London, Heinemann, 1962, p. 41-43.
Sweat lay on Mai Sunsaye’s armes like flecks of foam. A warm glow pervaded his limbs, making them tingle. But he was getting exhausted. Over the veld, the vertical rays of th sun shimmered, creating mirages. The sight of a clump of thatch gave him fresh courage.
As he drew nearer the wall round the village became more distinct and beyond it towered a giant baobab tree, twisting its knotty and leafless branches against the sheer blue sky. In the darker trees, the white cattle egrets and vultures battled with noisy flaps of their wings.
Village walls and trees showed some promise of life and from the sight of them he drew fresh courage. He quickened his pace. His sandals click-clacked behind him and the dust rose, caking his feet, till he longed for somewhere cool and shady where he could wash and say his noon prayers.
What he had seen was indeed a town wall, about waist high, but still a wall. Inside it were mud huts, roofless. It struck him as odd, and as he came nearer he noticed too that even the town wall seemed to have been broken down in parts. This was a spectacle of desolation.
He entered by a borad path flanked by two large baobab trees. The wheels of a motor vehicle were still fairly fresh, and it seemed to him that he could smell the petrol and the dust. As soon as he set foot within the gate a voice challenged him. “Mallam!”
Sunsaye turned. At first he saw no one. Looking more cautiously he noticed a man who was so dirty that he seemed to merge into the dust. His shrunken arm gripped a cudgel and his eyes glinted ferociously.
“Mays you be greeted,” Sunsaye said, wondering what he had done wrong.
A stealthy movement like a snake brought the man nearer. “Where are you going, my sun?”
“Me?” said Mai Sunsaye. He had not be called “my son” for more than twenty years. “I am going into the village.”
The old man laughed. “The village! He, he, heee!... The village!” His laughter was chilling.
Sunsaye , irritated, turned abruptly and made a move to resume his journey. As he walked on, he had an idea that something uncanny awaited him. In his ears still rang the cackle of th old man’s chilly laugh. It was real enough this noon. At night he might have dismissed it as a mere flight of fancy.
The first house he came to had no roof, and showed signs of having been burnt down. In the other houses there were cobwebs. Rats came out by day and stood on their hind legs, washing their hands like humans. He walked on. Everywhere the signs of desolation increased. Market-places with caved-in stalls, their floor strewn with wrappings leaves. Broken pots still holding a little water in which the mosquitoes bred freely; spoons, chairs, rusty tins, sugar-cane peelings, donkey hoof-marks.
He could even see the ashes of the fire where the butchers were wont to sizzle beef on sticks and sell to the young men. But where were the butchers and the farmers and the blacksmiths? Were they dead, buried, drowned out by some flood or burnt to ashes? (p. 41-42)