roman
Afrique> Burkina Faso
L’intrigue se situe en 2030 alors que le Burkina Faso est en proie à une sécheresse durable qui a complètement asséché le lac Bam. L’annonce de l’exploitation industrielle d’une nappe phréatique située à 250 mètres de profondeur attire des creuseurs artisanaux, qui tentent d’accéder à l’eau par leurs propres moyens. Etienne Zebango, le maire de Kongoussi, se rend sur place pour prendre la mesure du problème.
– Quel désastre, soupire Étienne Zebango. Quelle désolation…
Ça faisait longtemps que le maire de Kongoussi ne s’était pas rendu dans les collines constater de visu l’étendue des dégâts. Il s’est résolu de bon matin à cette visite de terrain en compagnie de son adjoint. Ils ont pris le pick-up de service, ont mis deux litres d’éthanol dedans (l’hydrogène n’est pas encore arrivé à Kongoussi) et sont allés crapahuter autour des ex-rives du lac, sur les anciennes pistes, ravinées et poussiéreuses, qui desservaient les champs.
De ceux-ci ne subsistent plus que des étendues rougeâtres de latérite, soulevées en volutes par le souffle chaud et râpeux de l’harmattan. De-ci de-là, une lâche pelade de graminées desséchées, une broussaille rêche et griffue, quelques acacias retors. Du sable s’accumule dans les creux, venu du désert. Des baobabs chauves, mais encore majestueux dominent cette flore de misère, peut-être morts ou seulement en léthargie, dans l’attente de jours meilleurs. Les collines sombres et nues, calcinées par le soleil, offrent un avant-goût menaçant du désert qui s’étend désormais derrière, descend chaque année plus bas vers le sud, desséchant tout de son haleine brûlante.
Dire qu’ici même, songe Étienne, à ses pieds – où sort du sol une ancienne vanne d’irrigation rongée par les vents du sable – , jadis poussaient du mil, du maïs, des courgettes, des tomates, des gombos, des haricots verts… Kongoussi était la capitale du haricot vert. Elle en exportait jusqu’en Europe ! Fin octobre était l’époque où démarrait la campagne, d’après le grand-père d’ Étienne Zebango qui a connu cet âge d’or durant lequel il a fait fortune. Désormais c’est l’époque où démarre la famine, les pluies tant attendues n’étant pas tombées pendant l’hivernage, les quelques tentatives de semis n’ayant rien donné, la saison sèche s’annonçant aussi torride que l’an passé.
– Ça va changer, Étienne, promet son adjoint, Alpha Diabaté, posant sur son épaule voûtée une main compatissante. L’eau va revenir et la prospérité avec elle ; les troupeaux, le mil, le sorgho. Les tomates, les salades, les haricots verts. On cultivera le meilleur haricot vert de toute l’Afrique de l’Ouest, tu es d’accord Étienne?
Celui-ci hoche lentement la tête. Il voit bien qu’Alpha essaie de lui remonter le moral, lequel devrait être à bloc depuis la découverte de la nappe. Mais il suppose qu’il faudra attendre encore des semaines, voire des mois, avant que l’eau ne coule de nouveau dans les robinets de Kongoussi. Des mois durant lesquels ses concitoyens continueront de souffrir, de mourir. Durant lesquels d’autres gens vont arriver par milliers du nord, de l’est, de l’ouest, attirés par cette eau comme des moustiques par un marigot. Il y aura de l’insécurité, de la violence, des heurts, des morts. La situation deviendra vite ingérable. Aujourd’hui déjà...
Le maire tourne son regard vers l’ancien lac en contrebas, qui étend vers le nord sa morne étendue de sable et d’argile craquelée, langue de désert ochracée qui vient lécher les faubourgs de la ville. Même à cette distance il distingue les centaines de petites silhouettes qui s’activent, creusent sous le soleil de plomb filtré par un nuage permanent de poussière latéritique. Les tas de sable s’accumulent, certains atteignent une belle taille déjà. On dirait une ruée vers l’or, sauf qu’ici l’or est liquide et vital – et qu’ils n’en trouveront pas. L’eau est à 250 m, pour l’atteindre il faut des moyens que même l’ONEA ne possède pas, puisque la présidente les fait venir d’Europe. Or personne ne veut rien entendre ; l’eau est là, il suffit de creuser...
Jean-Marc Ligny, AQUATM, Paris, Gallimard, « Folio SF », 2015, p. 178-180. (1ere édition, l'Atalante, 2006)